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Ministère du Travail

Résumé du rapport et recommandations

Ce Comité a été créé à la suite de l’une des recommandations du Groupe de travail sur l’application des articles 45 et 46 du Code du travail (Comité Mireault), sensibilisé qu’il avait été à certaines difficultés de fonctionnement du régime des rapports collectifs du travail dans l’industrie forestière. Composé de Denis Béland et Michel Tremblay du ministère des Ressources naturelles et de François Delorme et Gaston Nadeau du ministère du Travail, le Comité était présidé par Jean Bernier, professeur au Département des relations industrielles de l’Université Laval.

Après avoir entendu tous les groupes concernés qui ont voulu se faire entendre, aussi bien du côté des employeurs que du côté des travailleurs, sans oublier les coopératives forestières, après avoir étudié la jurisprudence pertinente aux rapports collectifs du travail dans cette branche d'activité et avoir procédé à des études statistiques sur l’évolution de la présence syndicale dans ce secteur, le Comité a identifié quatre grandes questions qui semblaient faire difficulté.

1- La définition d’exploitation forestière

D’abord, celle qui résulte de l’absence d’harmonisation entre les définitions utilisées dans le Code du travail d’une part et dans la Loi sur les forêts d’autre part. En effet, malgré les efforts qui furent déployés pour harmoniser les dispositions de ces deux lois, les définitions retenues dans l’une et l’autre recouvrent des réalités fort différentes. En effet, l’une s’intéresse de manière plus étroite à l’exploitation forestière proprement dite, l’autre est davantage préoccupée d’aménagement forestier au sens large. En clair, cela signifie que ce que l’on appelle communément les travaux non commerciaux, c’est-à-dire les travaux préparatoires à la récolte (comme l’implantation d’infrastructures : construction de routes et de ponts, aménagement des aires d’empilement) et les travaux postérieurs à la coupe (comme le reboisement et les travaux qui l’accompagnent) sont compris dans la définition d’aménagement au sens de la Loi sur les forêts. Mais, au même moment, ces travaux se trouvent exclus de la définition d’" exploitation forestière " du Code du travail.

Au strict plan de la réalité appréhendée par l’une et l’autre définition, on a tôt fait d’en noter l’incohérence. En effet, alors que dans la Loi sur les forêts, le législateur montre sa volonté de voir considérer de façon intégrée l’ensemble des activités relatives à l’exploitation et à l’aménagement de la forêt et, de la sorte, de responsabiliser les bénéficiaires de contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF), leCode du travailne tient pas compte de cette volonté d’intégration. Il maintient, aux fins de l’aménagement des rapports collectifs, la distinction qui prévalait antérieurement à la loi de 1986 entre les activités d’exploitation à des fins commerciales et les activités qui ne sont pas directement reliées à la coupe ou qui lui sont postérieures.

De façon plus concrète, cela signifie que, pour les fins de l’exercice du droit d'association et de négociation collective, les salariés affectés à des travaux commerciaux, c’est-à-dire à l’exploitation en tant que telle, bénéficient d’un régime particulier d’accréditation prévu au Code du travail, alors que les salariés réalisant d’autres types de travaux d’aménagement de la forêt, comme prévu dans la Loi sur les forêts, y échappent et demeurent assujettis au régime général. Les premiers bénéficient d’un régime qui a été conçu pour faciliter l’exercice du droit syndical de négociation, dans un milieu où le nombre d’intervenants rend parfois difficile l’exercice de ce droit, en prévoyant le recours à la technique juridique dite de  l’employeur présumé , alors que les seconds n’y ont pas accès.

Au-delà de l’incohérence dans les termes, cette absence d’harmonisation pose, ainsi que le révèle la jurisprudence, la difficulté d’établir la frontière précise entre les travaux préparatoires à la récolte et la récolte elle-même. Elle assujettit les mêmes travailleurs, affectés aux mêmes tâches, à deux régimes d’accréditation différents, selon la phase où en est rendue l’exécution des travaux, ce qui, en certains cas, peut conduire à la négation du droit d’association.

D’autre part,le fait que les travaux sylvicoles soient exclus de la définition d’exploitation forestière du Code du travailconduit aussi à séparer entre un employeur présumé, le bénéficiaire du CAAF responsable des opérations, et un employeur réel, celui qui a charge des travaux sylvicoles, l’autorité patronale sur les salariés occupés à des activités pourtant traitées en bloc dans le cadre de la Loi sur les forêts.

Dans les faits, cette situation explique, au moins partiellement, le taux de syndicalisation très faible dans le sous-secteur de la sylviculture. En effet, alors que le niveau de l’emploi s’accroît dans ce sous-secteur, le taux de présence syndicale, calculé sur la base de l’emploi maximal, observé sur une base annuelle, diminue de façon radicale passant de 7,6 % en 1987 à 5,7 % en 1996 et à 2,9 % en 1997.

Ces données tendent à confirmer combien le droit d'association paraît plus difficile à exercer selon les règles communes définies au Code du travail, dans ce contexte où les travaux s’effectuent presque exclusivement en sous-traitance.

Pour toutes ces raisons, le Comité recommande que la définition d’exploitation forestière dans le Code du travailsoit harmonisée avec celle qui est contenue dans la Loi sur les forêts de façon à ce qu’elle englobe aussi bien les travaux commerciaux que l’ensemble des travaux non commerciaux incluant les travaux préparatoires à la récolte ainsi que les travaux sylvicoles reliés à la régénération de la forêt.

2- L’identification de l’employeur

La deuxième question est celle de l’identification de l’employeur. L’audience des parties intéressées a permis, à cet égard, de dégager deux courants opposés, l’un visant à faire disparaître du Code du travailla notion d’employeur présumé pour ne retenir que l’employeur réel comme agent de négociation patronal, l’autre visant à élargir la notion d’employeur pour introduire, sous une forme ou sous une autre, une accréditation multipatronale définie sur une base territoriale et débouchant sur une négociation élargie.

Dans ce milieu où le travail en sous-traitance est une des grandes caractéristiques de l’organisation du travail et où les responsables des opérations sont susceptibles de changer plus ou moins fréquemment et à la limite, sur une base annuelle, selon les besoins de l’exploitation ou en conséquence de l’application de la Loi sur les forêts, cette technique de l’employeur présumé doit être privilégiée et maintenue comme mode de structuration des rapports collectifs du travail.

En effet, elle permet de faciliter l’identification de l’employeur, d’assurer une plus grande stabilité dans les rapports collectifs du travail, d’éviter, dans une certaine mesure, une concurrence entre exploitants ou entre contractuels ou entre sous-traitants qui pourrait s’exercer au seul détriment de la main-d’œuvre.

C’est pourquoi, le comité recommande que soit maintenu le recours à la technique de la présomption pour l’identification de l’exploitant forestier qui sera réputé l’employeur de tous les salariés de son exploitation aux fins de l’application des chapitres II et III du Code du travail.

De plus afin de faciliter aux organisations de salariés, l’identification de celui qui sera réputé l’employeur présumé d’un groupe de salariés sur un territoire donné, le Comité recommande que soit introduite, dans la Loi sur les forêts, une disposition faisant obligation aux titulaires d’un permis d’intervention sur une aire commune de désigner un responsable des opérations et de transmettre les coordonnées de celui-ci au Bureau du commissaire général du travail.

3- Le statut de certains types de salariés

La troisième question réfère au statut de certains types de salariés du secteur de la forêt : d’abord ceux qui présentement ne peuvent, au moment de requérir l’accréditation, bénéficier du régime permettant d’identifier un employeur présumé, ensuite ceux qui sont propriétaires de leur machinerie ou de leur équipement.

Dès l’origine des dispositions particulières relatives au secteur de la forêt, les salariés affectés au transport routier de même que les salariés membres d’une coopérative faisant des travaux d’exploitation forestière ont été exclus de l’application du régimede la présomption d’employeur. Après examen de la question, le Comité en est venu à la conclusion qu’il était préférable de recommander le maintien de ces exclusions. Par ailleurs, la Conférence des coopératives forestières du Québec (CCFQ) aurait souhaité, ainsi qu’elle eu l’occasion de le faire maintes fois par ailleurs, que le Comité reconnaisse que toute coopérative de travail forme une association de salariéset, qu’en conséquence, son existence soit incompatible avec le statut d’association accréditée,également définie par le Code. À l’analyse et en prenant en compte une jurisprudence récente et bien documentée, le Comité estime qu’il n’est pas opportun de donner une suite favorable à une telle attente. Il apparaît, en effet, plus sage de laisser aux salariés, membres ou non de la coopérative, le soin de déterminer s’ils désirent former une association accréditée pour promouvoir et défendre leurs intérêts professionnels, économiques et sociaux.

Quant aux salariés propriétaires de leur machinerie, leur situation est particulière en ce sens que nombre de ces travailleurs ont un statut hybride. En effet, lorsqu’ils conduisent eux-mêmes leur équipement, ils sont considérés comme des salariés au sens du Code du travail et bénéficient des avantages de la convention collective, notamment au plan de la rémunération. Toutefois, afin de rentabiliser l’investissement que peut représenter l’acquisition de certains engins, lequel peut atteindre plusieurs centaines de milliers de dollars, ils feront appel à un autre salarié pour conduire la machine. Si le salaire du conducteur, qu’il s’agisse du propriétaire de l’équipement ou d’un autre salarié, est déterminé par la convention collective, le " salaire " de la machine, lui, ne l’est pas la plupart du temps et fait plutôt l’objet d’une entente individuelle entre le propriétaire de la machine et le donneur d’ouvrage. Au surplus, il arrive même qu’uncertain nombre de ces propriétaires ne conduisent pas eux-mêmes leur engin, ou en possèdent plus d’un.

Nous sommes en présence d’un groupe de personnes où, pour un certain nombre d’entre elles, le lien de salariat, selon la conception traditionnelle ou classique, est de moins en moins significatif. Bien souvent, il s’agira davantage d’un lien de dépendance économique plutôt que d’un lien de subordination juridique. Pour ces raisons, ils s’apparentent davantage soit à des travailleurs autonomes, soit à des entrepreneurs dépendants voire à de vrais entrepreneurs.

À cet égard, il importe d’abord de s’assurer qu’il existe une communauté d’intérêts suffisante entre les " salariés " regroupés au sein d’une même unité d’accréditation. De ce point de vue, il appartient aux premiers intéressés de se poser la question de savoir s’il n’y aurait pas lieu d’admettre que seuls les salariés propriétaires d’une seule machine puissent être inclus dans la même unité de négociation. Au besoin, si ces salariés se sentent mal représentés dans les unités générales auxquelles ils appartiennent, rien ne les empêche de demander d’être regroupés dans une unité distincte qui leur apparaîtrait mieux appropriée pour les fins de la négociation.

De plus, le Comité recommande que les instances habilitées poursuivent la réflexion déjà engagée sur la notion de " salarié " et sur celle d’" entrepreneur dépendant " dans le cadre des discussions à venir sur d’éventuelles modifications au Code du travail afin de prendre en compte la situation propre aux salariés propriétaires de machinerie.

Enfin, il y aurait lieu de prévoir un contrat-type précisant l’ensemble des éléments qui doivent être pris en compte dans la détermination de la compensation appropriée pour la machinerie. Il serait souhaitable que ce contrat type soit élaboré et mis au point par les acteurs eux-mêmes, c’est-à-dire les donneurs d’ouvrage, d’une part, et les associations de propriétaires de machinerie, d’autre part, qui devraient convenir entre eux, et si nécessaire avec l'aide du ministère des Ressources naturelles, du format le plus approprié à la situation. À défaut par eux d’en venir à une entente sur cette question dans un délai raisonnable, le désaccord devrait être soumis à la procédure d’arbitrage déjà prévue dans la Loi sur les forêts,

4- Le droit de suite

Enfin, se pose la question du droit de suite d’un employeur à un autre, dans le cas où il y aurait maintien de la notion d’employeur présumé. La jurisprudence ayantconfirmé que les articles 45 et 46 du Code du travailsur la transmission d’entreprise ne s’appliquaient pas, lorsque le régime particulier prévu au Code menait à l’identification d’un employeur présumé, qu’en est-il lorsqu’un employeur présumé succède à un autre?

En l’absence de modification au Code visant à clarifier ce point, on peut normalement s’attendre à ce qu’à chaque changement de responsable des opérations, il y ait retour à la case départ en matière de rapports collectifs. Il appartient alors aux salariés intéressés de se regrouper à nouveau, de chercher une nouvelle accréditation vis-à-vis du nouveau responsable (et, de ce fait, nouvel employeur présumé) et, le cas échéant, de négocier une nouvelle convention collective.

Cette situation n’est guère acceptable puisqu’elle ouvre la porte à une instabilité dans les rapports collectifs du travail qui n'est pas désirable et qui, du reste, n’a pas été voulue par les concepteurs du régime d’exploitation mis en place en 1986 et qu’on a même souhaité faire disparaître lors d’amendements ultérieurs en 1988.

C’est pourquoi le Comité recommande que soit introduite, dans le Code du travail, une disposition d’exception prévoyant qu’en cas de changement d’employeur présumé, le nouvel employeur présumé soit lié par l’accréditation et la convention collective comme s’il y était nommé et qu’il devienne, par le fait même, partie à toute procédure s’y rapportant, enlieu et place du responsable précédent.

Québec, le 23 novembre 1999


RECOMMANDATIONS

Au terme de ses travaux, le Comité recommande:

  1. QUE la définition d’"exploitation forestière" dans le Code du travail soit harmonisée avec celle qui est contenue dans la Loi sur les forêts de façon à ce qu’elle englobe aussi bien les travaux commerciaux que l’ensemble des travaux non commerciaux incluant les travaux préparatoires à la récolte ainsi que les travaux sylvicoles reliés à la régénération de la forêt.
  2. QUE soit maintenu le recours à la technique de la présomption pour l’identification de l’exploitant forestier qui sera réputé l’employeur de tous les salariés de son exploitation aux fins de l’application des chapitres II et III du Code du travail.
  3. QUE la définition d’"exploitant forestier " soit modifiée de façon à préciser qu’il s’agit d’un bénéficiaire d’un contrat d'approvisionnement et d'aménagement forestier détenteur d’un permis d’intervention et qui, de ce fait, est responsable des opérations.
  4. QUE soit introduite, dans la Loi sur les forêts, une disposition faisant obligation aux titulaires d’un permis d’intervention sur une aire commune de désigner un responsable des opérations et de transmettre les coordonnées de celui-ci au Bureau du commissaire général du travail dans les quinze jours de sa désignation.
  5. QUE l’exclusion de l’application de l’article 2 du Code du travail, visant la présomption d’employeur, soit maintenue dans le cas des salariés membres d’une coopérative.
  6. QUE cette exclusion soit maintenue même lorsque la coopérative de travail joue le rôle de responsable des opérations forestières sur une aire commune.
  7. QUE l’exclusion relative à la présomption d’employeur soit également maintenue dans le cas des salariés employés au transport routier.
  8. QUE les salariés propriétaires de machinerie amorcent une réflexion sur le caractère approprié ou non de l’unité de négociation à laquelle ils appartiennent et entreprennent, le cas échéant, les démarches nécessaires pour modifier leur unité d’accréditation, voire pour demander une unité d’accréditation qui leur soit propre.
  9. QUE les instances habilitées poursuivent la réflexion déjà engagée sur la notion de " salarié " et sur celle d’"entrepreneur dépendant" dans le cadre des discussions à venir sur d’éventuelles modifications au Code du travailafin de prendre en compte la situation propre aux salariés propriétaires de machinerie.
  10. QUE les donneurs d’ouvrages de l’industrie de l’exploitation forestière et les propriétaires de machinerie forestière, par l’intermédiaire de leurs associations respectives, élaborent un contrat-type qui définirait des éléments qui devraient être pris en compte dans la détermination de la compensation versée pour l’usage de la machinerie et qui s’appliquerait à tous les propriétaires de machinerie sans égard au nombre de machines qu’ils possèdent.
  11. QU’à la demande de l’une ou l’autre des associations intéressées, le ministère des Ressources naturelles fournisse toute l’assistance nécessaire à la poursuite des discussions en vue de la mise au point d’un tel contrat-type devant servir à la détermination de la compensation versée pour l’usage de la machinerie fournie par un salarié propriétaire.
  12. QU’à défaut pour les donneurs d’ouvrage et les propriétaires de machinerie forestière d’en venir à une entente sur cette question, le désaccord soit soumis à la procédure d’arbitrage déjà prévue aux articles 55 et 106.1 de la Loi sur les forêts.
  13. QUE soit introduite, dans le Code du travail, une disposition d’exception prévoyant qu’en cas de changement d’employeur présumé, le nouvel employeur présumé est lié par l’accréditation et la convention collective comme s’il y était nommé et devient par le fait même parti à toute procédure s’y rapportant, au lieu et place du responsable précédent.
  14. QUE le Commissaire du travail soit reconnu compétent pour trancher toute difficulté résultant de l’application de la disposition visée par la recommandation précédente.